La nuit
commençait à tomber quand Stu entendit la moto de Harold. Un instant plus tard il apercevait son phare entre les arbres qui bordaient la route. Puis le casque de Harold, Harold qui tournait la tête à gauche et à droite, Harold qui le cherchait.
Assis sur une grosse pierre, Stu l’appela en faisant de grands gestes. Une minute plus tard, Harold le vit agita la main et continua à monter en seconde.
Après cet après-midi dans la montagne, Stu avait bien meilleure opinion de Harold… pour la première fois peut-être. C’était Harold qui avait eu cette idée une excellente idée même si elle n’avait rien donné. Et Harold avait insisté pour prendre la route de Nederland… il avait dû avoir très froid, malgré son blouson. Quand Harold arriva près de lui, Stu vit son perpétuel sourire qui ressemblait tellement à une grimace ; son visage était blanc, marqué par la fatigue. Déçu de n’avoir rien trouvé pensa Stu. Et tout à coup il se sentit coupable de la manière dont Frannie et lui l’avaient traité, comme si son sourire perpétuel et ses manières un peu trop amicales avec tout le monde avaient été une sorte de camouflage. Avaient-ils jamais pensé que le type essayait peut-être tout simplement de tourner la page, et qu’il s’y prenait peut-être un peu bizarrement parce que pour lui c’était la première fois ? Non, ils n’y avaient sans doute jamais pensé.
– Rien trouvé, hein ? demanda-t-il à Harold en sautant en bas de la pierre où il était assis.
– Nada.
Le sourire réapparut, mais un sourire mécanique, sans force, comme un rictus. D’une pâleur mortelle, son visage avait une étrange expression. Harold avait les mains enfoncées dans les poches de son blouson.
– Tant pis, c’était une bonne idée quand même. Et puis, elle est peut-être déjà rentrée chez elle. Sinon, on pourra recommencer demain.
– Et nous risquons de tomber sur un cadavre.
– Peut-être, soupira Stu, c’est bien possible. Tu veux venir dîner chez nous, Harold ?
– Quoi ?
Harold tressaillit dans la pénombre qui s’épaississait sous les arbres. Son sourire parut encore plus forcé que d’habitude.
– Dîner, répéta patiemment Stu. Frannie serait contente de te voir. C’est vrai. Elle serait vraiment contente.
– C’est vraiment gentil, répliqua Harold, manifestement mal à l’aise. Mais je suis… bon tu sais bien qu’elle me plaisait. On ferait peut-être mieux… de s’abstenir pour le moment. Rien contre toi en particulier. Vous avez l’air de bien vous entendre tous les deux. Je sais.
Et son sourire réapparut, débordant de sincérité, contagieux.
– Comme tu veux, Harold. Mais la porte est ouverte, quand tu voudras.
– Merci.
– Non, c’est moi qui te remercie, répondit Stu très sérieusement.
– Moi ?
– De nous avoir aidés à chercher mère Abigaël quand tous les autres avaient décidé de laisser la nature suivre son cours. Même si nous n’avons rien trouvé. On se serre la main ?
Stu tendit la main. Harold la regarda et Stu crut un instant qu’il allait refuser son geste. Puis Harold sortit la main de la poche de son blouson – elle parut accrocher quelque chose, la fermeture Éclair peut-être – et serra rapidement la main que lui tendait Stu.
La main de Harold était moite.
Stu lui tourna le dos pour regarder la route.
– Ralph devrait déjà être arrivé. J’espère qu’il ne s’est pas cassé la figure en descendant la montagne. Ah…
le voilà.
La lumière d’un phare clignotait en jouant à cache-cache avec les arbres.
– Oui, c’est lui, dit Harold d’une voix étrangement blanche, derrière Stu.
– Il est avec quelqu’un.
– Quoi ?
– Regarde.
Stu montrait un deuxième phare, derrière le premier.
– Ah bon.
Encore cette voix blanche. Cette fois, Stu se retourna.
– Ça va, Harold ?
– Je suis fatigué, c’est tout.
Le deuxième phare était celui du vélomoteur de Glen Bateman qui ne voulait rien savoir des motos. À côté de sa petite machine la Vespa de Nadine aurait presque fait l’effet d’une Harley. Nick Andros était assis derrière Ralph. Nick les invitait tous à prendre le café dans la maison qu’il partageait avec Ralph. Un café arrosé de cognac si le cœur leur en disait. Stu accepta, mais Harold déclina l’invitation. Il avait l’air épuisé.
Il est tellement déçu, pensa Stu, et il se dit que c’était le premier mouvement de sympathie qu’il ressentait pour Harold, une sympathie qui s’était trop longtemps fait attendre. Il reprit l’invitation de Nick à son compte, mais Harold secoua la tête. Non décidément, il était complètement crevé. Il allait rentrer chez lui et dormir un bon coup.